Santé, sécurité et conditions de travail | Sélection de jurisprudence – France | Second semestre 2024
Cette newsletter présente quatre décisions de justice notables rendues au cours des derniers mois :
- Travailler pendant un arrêt maladie ouvre automatiquement droit à réparation (Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 23-15.944 FSB)
La plupart des manquements de l'employeur a longtemps entraîné l’octroi automatique de dommages et intérêts au salarié, sans qu'il lui soit nécessaire de prouver l'existence d'un préjudice. La Cour de cassation a abandonné cette approche depuis 2016, en exigeant désormais du salarié qu’il démontre un dommage pour obtenir réparation. Ce principe connaît toutefois des exceptions. Certaines sont prévues par la loi, comme la perte injustifiée d'emploi ou l’atteinte à la vie privée. D’autres ont été dégagées par la jurisprudence et leur liste ne cesse de s’allonger. Illustration avec l’emploi d’une salariée pendant un arrêt maladie.
Dans cette affaire, la salariée a saisi la juridiction prud'homale pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, notamment pour l'avoir fait travailler pendant son arrêt maladie, ce qui est interdit.
La cour d'appel a rejeté sa demande de dommages et intérêts, estimant que la salariée n’avait travaillé que ponctuellement et sur une durée limitée (trois fois), sans démontrer de préjudice spécifique.
A tort selon la Cour de cassation, pour qui « le seul manquement de l'employeur en ce qu'il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie ouvre droit à réparation ».
- Une convention de prestation de services ne peut exonérer le client de toute responsabilité en cas d’accident du travail (Cass. civ., 2e ch., 5 septembre 2024, n° 21-23442 FSB)
Une convention de prestation de services peut-elle faire porter la charge de l’indemnisation d'un accident du travail exclusivement sur l'employeur de la victime ? C’est la question à laquelle la Cour de cassation a dû répondre dans cette affaire.
Deux salariés d’une société de sécurité ont été victimes d’un accident du travail dans les locaux d’une entreprise cliente. Les victimes ont assigné en justice l’entreprise cliente pour qu’elle soit déclarée responsable de leurs préjudices et condamnée à les indemniser. Pour sa défense, l’entreprise cliente invoquait le contrat de prestation de services conclu avec la société de sécurité, lequel stipulait que la réparation des accidents du travail subis par les salariés de cette dernière serait exclusivement à la charge de leur employeur, même en l’absence de responsabilité de sa part.
La cour d’appel a pris une position médiane : elle a déclaré l’entreprise cliente responsable du préjudice subi par les deux agents de sécurité et l’a condamnée à les indemniser. Cependant, en s’appuyant sur la convention de prestation de services, elle a décidé que la société de sécurité devait garantir l’entreprise cliente de l’ensemble des condamnations mises à sa charge au profit des victimes.
La société de sécurité s’est alors pourvue en cassation, estimant que la convention de prestation de services, qui lui imposait la charge de la réparation même sans responsabilité de sa part, était illicite car elle exonérait le client de ses obligations malgré sa responsabilité.
La Cour de cassation a donné raison à la société de sécurité. Elle a confirmé que l’entreprise cliente était responsable des dommages subis par les victimes en tant que propriétaire et exploitante des locaux où l'accident s'est produit. En outre, elle a considéré que l'employeur des victimes bénéficiait dans cette situation d’une immunité légale, sauf en cas de faute intentionnelle, à laquelle il ne pouvait renoncer par convention. Les termes de la convention de prestation de services faisant porter la charge de l’indemnisation des accidents du travail exclusivement sur l'employeur de la victime étaient donc bien illicites.
- L’absence de visite médicale de reprise n’empêche pas nécessairement un licenciement (Cass. soc., 16 octobre 2024, n° 23-14892 D)
Lorsqu’un salarié est en arrêt de travail, son contrat de travail est suspendu. Selon la nature ou la durée de l’arrêt, l’employeur peut être tenu d’organiser une visite médicale de reprise au retour du salarié. Cette visite doit avoir lieu au plus tard dans les 8 jours suivant le retour du salarié dans l’entreprise. Étant donné que seule la visite médicale de reprise met fin à la suspension du contrat, l’employeur peut-il sanctionner un salarié qui commettrait une faute entre son retour et cette visite ? La Cour de cassation a récemment clarifié les règles applicables.
Dans cette affaire, une salariée reprend ses fonctions après un arrêt de travail et, dès son retour, adopte un comportement anxiogène vis-à-vis des autres collaborateurs. Compte tenu des faits et antécédents, l’employeur la met à pied à titre conservatoire et la convoque à un entretien préalable à une éventuelle sanction, qui aboutit à un licenciement pour faute grave.
La salariée conteste ce licenciement en justice. La cour d’appel le déclare sans cause réelle et sérieuse, au motif que la visite médicale de reprise obligatoire n’avait pas eu lieu, maintenant ainsi la suspension du contrat de travail et privant l’employeur de son pouvoir disciplinaire.
La Cour de cassation censure cette décision. Elle considère que le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour maladie et qui reprend son travail avant la visite médicale de reprise est soumis au pouvoir disciplinaire de l'employeur comme n’importe quel autre salarié et ne bénéficie d’aucune immunité, ceci à condition que l’employeur n’ait pas manqué à son obligation d’organiser la visite de reprise bien entendu. Dans ce dernier cas, seul un manquement à l’obligation de loyauté pourrait être reproché au salarié.
- Le défaut de suivi de la charge de travail peut invalider une convention de forfait en jours sur l’année (Cass. soc., 20 novembre 2024, n° 23-21.020 F-D)
Les conventions de forfait en jours sur l’année offrent de nombreux avantages pour le décompte du temps de travail. Cependant, leur mise en place et leur suivi peuvent être complexes. Le code du travail exige que tout accord collectif encadrant ce dispositif traite obligatoirement des points suivants :
- Catégories de salariés concernés
- Période de référence du forfait
- Nombre de jours compris dans le forfait
- Conditions de prise en compte des absences, arrivées et départs en cours de période
- Caractéristiques principales des conventions individuelles
- Modalités d’évaluation et de suivi régulier de la charge de travail
- Modalités de communication périodique entre employeur et salarié concernant la charge de travail
- Articulation entre vie professionnelle et personnelle
- Rémunération et organisation du travail
- Modalités d’exercice du droit à la déconnexion
Si ces points ne sont pas respectés, l’accord collectif et les conventions individuelles prises à l’appui peuvent être contestés, exposant l’employeur à des risques financiers élevés en cas de litige. Un récent arrêt de la Cour de cassation montre la rigueur des juges sur ce sujet.
Un salarié a contesté la validité de sa convention de forfait en jours devant la juridiction prud'homale, arguant que l’accord collectif et les mesures de l’employeur ne permettaient pas un suivi régulier et effectif de sa charge de travail.
La cour d'appel a jugé cette convention valide, estimant que l'accord collectif garantissait des durées de travail raisonnables et des repos suffisants, avec un récapitulatif des jours travaillés, un nombre maximal de jours consécutifs de travail, le respect des repos quotidien et hebdomadaire minima, et un entretien annuel sur l’organisation du travail.
La Cour de cassation a annulé cette décision, notant l'absence de mécanismes spécifiques pour identifier et corriger une charge de travail excessive ou pour garantir une répartition équilibrée du travail. Selon la Cour, cette lacune ne permettait pas d’assurer que la charge et l’amplitude de travail restent raisonnables. La convention de forfait en jours sur l’année est donc nulle et la durée du travail du salarié doit être calculée sur la base de la durée légale de 35 heures, lui ouvrant notamment droit à un éventuel rappel d’heures supplémentaires.