Hygiène, sécurité et conditions de travail en France / Premier semestre 2018
La prévention des risques professionnels et la gestion des aspects liés à la sécurité et à la protection de la santé au travail sont des préoccupations majeures de tous les acteurs du droit social.
Cette newsletter revient sur quatre décisions notables du premier semestre en la matière.
1. PSE : l'existence de risques psychosociaux justifie la suspension d'un projet de réorganisation par le juge judiciaire (CA Versailles, 14e ch., 18 janvier 2018, n° 17/06280).
La répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire en cas de différends nés de risques psychosociaux liés à un projet de réorganisation assorti d’un PSE n'a pas encore été définitivement tranchée.
Une société avait initié un projet de réorganisation incluant le déploiement de nouveaux outils informatiques destinés à rationaliser la gestion de l'entreprise. Celui-ci emportait la suppression de 71 postes. Un PSE avait été négocié avec les syndicats, validé par l'administration du travail et il n’avait pas été contesté devant le juge administratif.
Le CHSCT a saisi le juge judiciaire en référé afin d'obtenir la suspension de plusieurs pans du projet en raison de l'existence de risques psychosociaux (étayée par plusieurs burn-out, l'exercice par 18 salariés de leur droit de retrait, ainsi que des lettres d’observations de l'inspection du travail relatives à la surcharge de travail induite par les nouveaux outils informatiques).
La Cour d'appel de Versailles accueille favorablement cette demande. Elle réaffirme à cette occasion, comme elle l'avait déjà fait en 2015, que le juge judiciaire est compétent pour suspendre un projet de réorganisation, même en présence d’un PSE. Selon les juges, aucun texte ne donne mission à l'administration d'examiner les éventuels risques psychosociaux lorsqu'elle contrôle la validité d'un PSE. Seul le juge judiciaire est compétent pour sanctionner le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention, même dans le cadre d'un PSE. Dans ces conditions, au vu de risques psycho-sociaux avérés, la Cour d'appel suspend le déploiement des logiciels informatiques dans l'ensemble de l'entreprise.
2. Obligation de sécurité : l'employeur doit tenir compte des conditions d'utilisation concrètes des équipements qu'il met à la disposition des salariés (Cass. crim., 6 mars 2018, n° 17-82.304).
L'employeur doit mettre à la disposition de ses salariés un matériel conforme à la réglementation et approprié au travail à réaliser ainsi qu’aux conditions concrètes d’exécution de chaque chantier.
En l’espèce, alors qu'un salarié conduisait une chargeuse sur un chantier boueux et pentu, le véhicule a basculé sur le côté et lui a fracassé le crâne. Le salarié est décédé des suites de ses blessures.
La chargeuse, bien que conforme à la réglementation et contrôlée, n'était pas adaptée aux travaux réalisés le jour de l'accident compte tenu de la configuration des lieux et de l'état du terrain, lequel était susceptible d'affecter gravement sa stabilité. En outre, celle-ci avait été employée à tort comme un engin de levage.
Pour ces motifs, une directrice d'agence de la société, titulaire d'une délégation de pouvoir en matière de sécurité, est condamnée pour homicide involontaire et pour mise à disposition des travailleurs d'un équipement non adapté.
3. Rapport médical tendancieux : l'employeur peut faire sanctionner disciplinairement le médecin qui n'a pas personnellement constaté les faits qu'il relate (CE, 6 juin 2018, n° 405453).
Un médecin avait rédigé un certificat médical en faveur d'un salarié, qui laissait entendre que l'employeur ne respectait pas ses obligations en termes de protection de la santé des salariés et faisait état d'un "enchaînement délétère de pratiques maltraitantes" de sa part. Toutefois, ce médecin n’avait pas lui-même constaté les faits.
L'employeur a formé une plainte à l’encontre de ce praticien, à laquelle l’Ordre des médecins a fait droit en sanctionnant le médecin. L’intéressé a contesté cette sanction en faisant notamment valoir que l'employeur n'était pas recevable à établir une telle plainte devant l'Ordre des médecins.
Le Conseil d'Etat a rejeté cette argumentation. La Haute juridiction rappelle que l'employeur, dès lors qu'il est lésé de manière suffisamment directe et certaine par un certificat ou une attestation établie par un médecin, peut introduire une plainte disciplinaire à l'encontre de ce praticien, ce qui était le cas ici dans la mesure où le salarié s'était prévalu du certificat médical litigieux devant le Conseil de Prud'hommes.
Le Conseil d’Etat confirme par la même occasion qu'il est interdit aux médecins d'établir des certificats médicaux de complaisance ou des rapports tendancieux, ce qui implique notamment que ces derniers doivent personnellement constater les faits dont ils font état.
4. Prohibition de l'alcool dans l'entreprise : l'interdiction doit viser des postes précis (CAA Nancy, 6 mars 2018, n° 16NC01005).
Le Code du travail n'autorise que le vin, la bière, le cidre et le poiré sur le lieu de travail. Il prévoit également que le règlement intérieur peut interdire la consommation d'alcool si elle est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, et ce à condition qu'une telle interdiction soit proportionnée au but recherché.
Dans cet arrêt, le règlement intérieur interdisait de manière large et imprécise la consommation d'alcool en visant notamment tous "les postes de sûreté, de sécurité ou à risque". Lors d'un contrôle, l'inspection du travail a exigé le retrait de cette clause, ce que l'employeur a contesté.
La Cour Administrative d'appel a confirmé la décision de l'inspection du travail en précisant que le règlement intérieur ne peut comporter une clause interdisant la consommation totale d'alcool sans précisément viser les postes concernés par l'interdiction.
La Cour précise également qu'il convient de caractériser l'existence d'une situation particulière de danger ou de risque liée à la consommation faible d'alcool par le personnel concerné.
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